
L’entreprise zurichoise, une pionnière dans le secteur du captage du CO2, a réussi à assurer d’importants fonds indépendamment des difficultés auxquelles elle fait face. Le mois dernier, la société a annoncé devoir se séparer d’environ 20% de ses effectifs sur fond de défis, à la fois techniques et financiers
La nouvelle a surpris différents observateurs du secteur. Le spécialiste du captage de CO2 dans l’air Climeworks a annoncé mardi avoir levé 162 millions de dollars (128 millions de francs). Ce sont des investisseurs de longue date – telle la société zurichoise Partners Group, active dans le financement de sociétés non cotées – qui ont ouvert leur portefeuille.
Climeworks, le leader mondial dans son secteur, compte utiliser ces millions pour développer davantage ses technologies et construire «la première usine rentable» de captage direct de CO2 (DAC), indique au Temps une porte-parole de la société sans détailler davantage.
«Au vu des informations qui ont été publiées les dernières semaines sur Climeworks, ce financement me laisse quelque peu perplexe», relève un spécialiste du financement des start-up, préférant rester anonyme. Il souligne aussi qu’il serait intéressant de savoir à quelles conditions cet argent a été accordé, et à quel moment cet accord a été signé. «L’aboutissement de telles transactions prend beaucoup de temps. Et ce contrat peut avoir déjà été signé avant l’annonce de la grande restructuration», fait-il remarquer.
Coupe de 20% du personnel
L’entreprise, fondée en 2009 par Christoph Gebald et Jan Wurzbacher, deux ingénieurs de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, a annoncé en mai une importante réorganisation. Elle va devoir se séparer d’une centaine de ses collaborateurs et collaboratrices. Ce qui représente environ 20% des effectifs de la firme. Les fondateurs ont notamment évoqué l’environnement «difficile» et la nécessité de se concentrer davantage sur «l’efficience» pour justifier cette décision.
Ces défis sont notamment liés au nouveau gouvernement en place aux Etats-Unis. Climeworks aurait dû être une des firmes à bénéficier des subventions américaines accordées par l’administration Biden à certains secteurs grâce à la loi Inflation Reduction Act (IRA). Les républicains ont cependant bloqué ces financements et il n’est pas clair si les 300 millions de dollars promis via l’IRA seront effectivement versés à la société zurichoise. Ce montant devait permettre de construire le troisième site de captage de CO2 de Climeworks, en Louisiane. «Nous sommes en contact avec le gouvernement américain et le projet se poursuit. Actuellement, nous ne pouvons pas en dire davantage», a déclaré une porte-parole de la firme.
Mais ce sont les problèmes techniques qui pèsent en particulier sur la crédibilité de l’entreprise, considérée en 2024 par le magazine américain Time comme l’une des plus innovatrices dans son secteur.
Beaucoup moins de CO2 capté que prévu
Climeworks a développé des technologies comparables à des aspirateurs géants de CO2 dans l’air. Ce gaz est ensuite stocké sous terre. Les deux usines du zurichois, basées en Islande, n’arrivent cependant à performer comme prévu. Elles captent beaucoup moins de gaz carbonique que ce qu’ambitionnait la société. La première, appelée Orca, aurait une capacité d’extraction théorique de 4000 tonnes par an et la deuxième, Mammoth, environ 36 000 tonnes.
Le journal islandais Heimildin indique en outre que les émissions de CO2 de Climeworks en 2023 étaient supérieures au CO2 capté par la firme. La publication interroge aussi la vente des crédits carbone aux particuliers et aux entreprises pratiquée par la firme. Interrogé par Le Temps sur ces affirmations du média islandais, Climeworks confirme avoir émis 1700 tonnes de CO2 en 2023 (le même chiffre qu'Heimildin cite dans son article) sans toutefois confirmer ou infirmer les propos du journal. Ce dernier recence environ 1000 tonnes de CO2 captés par le zurichois, une valeur inférieure aux émissions du groupe.
«Techniquement, il est difficile de capter le CO2 directement dans l’air et cela requiert beaucoup d’énergie», explique Suren Erkman, un spécialiste du captage de CO2 et ancien professeur de l’Université de Lausanne.
Sociétés nécessaires?
Pour Célia Sapart, climatologue et directrice scientifique chez CO2 Value Europe, la contribution de Climeworks et de ses concurrents dans la lutte contre le réchauffement climatique, bien que minime aujourd’hui, reste essentielle à moyen et long terme. La communauté internationale vise en effet l’objectif zéro émission nette d’ici à 2050.
«Comme le montrent les scénarios du GIEC, les technologies de capture du CO2 sont nécessaires. Il est cependant important de rappeler que des efforts importants de réduction des émissions de gaz à effet de serre à la source doivent d’abord être réalisés par les entreprises et les pays pour atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050, indépendamment du développement de l’industrie de captage du CO2», dit Célia Sapart.
Dans la lutte contre le réchauffement climatique, la contribution de Climeworks et de ses pairs reste marginale. Selon un rapport sur l’élimination du CO2 publié en 2023, moins de 1% du captage du dioxyde de carbone s’effectue par les nouvelles technologies dont celles de Climeworks. La quasi-totalité, soit 99%, représentant 2 milliards de tonnes de CO2 par an, est réalisée par les techniques conventionnelles comme la reforestation.
Et ces chiffres poussent certaines organisations environnementales à remettre en question l’utilité des acteurs tels que Climeworks, au vu de leur consommation énergétique élevée et du coût des sites de captage.